2005-10-01 / SPORT: L'UE DEVRAIT SE GARDER DE TOUTE IMPLICATION POLITIQUE DANS CE DOMAINE
Depuis que la Cour européenne de Justice s'est prononcée sur les transferts de footballeurs il y a dix ans (arrêt Bosman), l'implication de l'UE dans le domaine du sport a gagné en complexité, avec notamment de nouvelles dispositions sur le dopage ou l'inclusion d'une référence spécifique dans la Constitution européenne. Toutefois, les députés européens ont pris connaissance, le 28 septembre, à Strasbourg, d'un rapport qui invite les législateurs de l'UE à se tenir à l'écart du sport. Emanant du député européen néerlandais libéral Toine Manders, ce rapport dit en substance que la gestion du sport devrait incomber au premier chef aux organisations spécifiques et qu'il n'est pas encore constitutionnellement de la compétence de l'UE d'élaborer une politique dans ce domaine. Le document de 97 pages, intitulé "Professional Sport in the Internal Market" (le sport professionnel dans le marché intérieur), a été rédigé par le Asser Instituut (La Haye) et la Lancaster University (Royaume-Uni).Surtout axé sur le football, ce rapport évoque quelques principes généraux du droit européen (droits des médias, systèmes de licence, aides d'État, règles de transfert et dispositions relatives aux techniques marchandes). Il note, par exemple, que certaines règles relatives au monde du sport peuvent être en contradiction avec celles que l'UE s'est données au sujet de la libre concurrence et de la non-discrimination. Il se penche sur les domaines où il y a conflit de règles et relève que les uns appellent à exempter le sport du droit européen alors que d'autres cherchent à se servir du cadre européen pour abolir les restrictions du marché. La perspective change selon que le sport est considéré en termes purement sportifs ou qu'on le voit comme une activité économique, dit-il.
Le rapport observe qu'en dépit de l'appel à une sécurité juridique renforcée (l'idée étant de confier les décisions à l'UE pour que des dossiers analogues reçoivent un même traitement et qu'il n'y ait donc pas de place pour l'arbitraire), cette démarche n'est pas conseillée. Il argue que les associations sportives sont les mieux placées pour gérer leurs propres affaires, étant donné qu'elles ont acquis l'expérience nécessaire dans le domaine de la réglementation du sport. L'UE, conclut-il, devrait donc s'en tenir à contrôler la compatibilité des choix opérés par les associations sportives avec le droit européen. Le renforcement souhaité de la sécurité juridique pourrait être obtenu, selon le document, par l'une ou plusieurs des options politiques suivantes: l'analyse au cas par cas; le dialogue, les normes juridiques non contraignantes (ou "douces"); les révisions du traité; et les exemptions par catégorie.
En mettant fin aux quotas de footballeurs nationaux dans les clubs, l'arrêt rendu par la Cour européenne de Justice en décembre 1995 (arrêt Bosman) a suscité d'importants changements dans le monde du football européen, en provoquant un afflux de joueurs étrangers dans les ligues nationales. L'arrêt stipule que le système par lequel les clubs peuvent monnayer le transfert d'un joueur à un autre club à l'expiration du contrat de ce joueur constitue une violation de l'article 48 du Traité de Rome; que la règle de l'UEFA selon laquelle les clubs ne peuvent aligner, lors de compétitions européennes, plus de trois joueurs "étrangers" (qui ne sont pas ressortissants du pays du club) plus deux étrangers "assimilés" est incompatible avec le Traité.
Rôle spécial.
Évoquant le rôle "spécial" du sport, le rapport souligne que d'un côté, le sport a de multiples fonctions liées à l'éducation, à la santé publique, au social, à la culture et à la vie récréative et que de l'autre, il s'agit d'une grande entreprise capable de générer d'énormes revenus. Le sport est placé sous d'autres conditions de marché que les autres "industries", les concurrents (des clubs, généralement) tirant profit de la force et de la survie de leurs rivaux. Cette unicité a contribué à la construction d'un modèle organisationnel décrit comme "modèle européen du sport" assorti de règles destinées à protéger la "spécificité" du sport. Nombre de ces règles n'auraient pas leur place dans des industries "normales" et seraient contestées en justice étant donné qu'elles contrent la mise en place d'un terrain d'égalité, soit en limitant la libre circulation des travailleurs ou en imposant des restrictions de marché propres à freiner la liberté commerciale des sociétés.
Ce qui explique, d'après le rapport, le nombre croissant de plaintes liées au sport que l'UE se voit confier. Le rapport en relève trois types, qui se distinguent chacun par leur enjeu:
* les règles ou pratiques considérées comme essentielles pour le bon fonctionnement et l'organisation du sport: restrictions de nationalité au sein des équipes nationales, règles liées aux critères de sélection, les sanctions applicables aux cas de dopage dans le sport, les règles empêchant la délocalisation des clubs, les règles interdisant la propriété multiple des clubs et l'octroi d'aides d'État à finalité éducative aux clubs de sport.
* les règles ou pratiques qui sont économiques par nature, constituent des restrictions et tombent sous le coup des dispositions du Traité de l'UE sur la libre circulation et le droit de la concurrence. Un éventail de règles liées au sport sont réputées compatibles avec le Traité. Ces règles concernent notamment la création de fenêtres (périodes) de transfert, la vente collective de droits de retransmission, le rachat collectif des droits de retransmission, les restrictions applicables à la retransmission outre-frontières d'événements sportifs, les arrangements en matière de billetterie, le paiement d'indemnités de transfert sous contrat et les règles applicables aux agents des joueurs.
* les règles ou pratiques qui constituent des restrictions et sont interdites au regard des dispositions du Traité relatives à la libre circulation et au droit de la concurrence. Il s'agit notamment des restrictions de nationalité applicables au sport d'équipe (clubs), du paiement d'indemnités de transfert hors contrat, des règles de nationalité en contradiction avec les dispositions relatives à la non-discrimination énoncées dans les Accords d'Association; des longues période d'exclusivité liées aux droits inhérents au sport; des interdictions d'exportation applicables au matériel de sport et des dispositions "réglementaires" destinées à maintenir une prépondérance commerciale.
Il est toutefois un certain nombre de questions (en suspens) pour lesquelles l'implication de l'UE mérite d'être maintenue, et qui ont trait pour la plupart à la réglementation du football par l'UEFA. Le rapport dit, par exemple, que les règles relatives aux joueurs du pays, les clauses de libération des joueurs et les règles visant à rattacher les clubs à une notion de territorialité nationale sont douteuses. Vu le nombre de désaccords constatés au fil des ans entre l'UEFA et la Commission européenne, le rapport appelle les associations sportives à rechercher la transparence la plus totale et à autoriser la participation démocratique de tous les intervenants. L'enjeu n'est pas tant de créer un terrain d'égalité parfait dans le domaine du sport étant donné que la chose pourrait ne pas se révéler appropriée dans tous les cas de figure. Mais plutôt d'examiner scrupuleusement les règles des associations sportives entrant en contradiction avec les principes de base du droit européen, le tout étant de s'assurer qu'elles ont été adoptées de façon transparence et par la voie de la démocratie, et qu'elles sont proportionnées à l'objectif légitime poursuivi. Vu la complexité de ces arguments, l'appréciation ne peut être faite qu'au cas par cas.
Pour plus d'informations, voir notre site EISnet: www.eis.be > Recherche avancée > Référence= EURF;2993;316